NÉGRO-AFRICAINS (ARTS)

NÉGRO-AFRICAINS (ARTS)
NÉGRO-AFRICAINS (ARTS)

Les arts africains, principalement la sculpture, sont connus en Europe depuis le XVe siècle, mais n’ont acquis leur qualité d’expression artistique authentique qu’après 1906, quand les peintres cubistes les eurent fait «découvrir» comme un véritable art nègre. Mais l’art nègre du cubisme est-il vraiment tout l’art africain? Il ne semble pas, car s’il est vrai que les cubistes ont contribué à sensibiliser l’Occident à propos d’expressions plastiques jusqu’ici ignorées, ils n’ont pas pour autant essayé de définir la nature réelle de ces œuvres. Leur préoccupation, inscrite dans un courant pictural strictement européen, était autre. Il a donc fallu par la suite, et dans une optique bien différente, redécouvrir la réalité du fait esthétique africain par l’étude particulière des objets et des civilisations où ils furent conçus, créés, utilisés et appréciés.

L’œuvre plastique noire, très diverse selon les régions, présente des formes multiples, souvent inattendues, dont on n’a pas encore pu reconstituer l’histoire ni même faire un simple inventaire exhaustif. L’étude fragmentaire des cultures traditionnelles africaines, elles aussi diverses et complexes, n’a permis jusqu’à maintenant qu’une approche limitée de la totalité du fait esthétique, difficile à appréhender dans son essence: l’objet sculpté, par exemple, est en effet souvent à la fois une pièce rituelle servant de réceptacle à la force sacrée, un substitut symbolique, une figurine magique douée de propriétés intrinsèques précises, un objet utilitaire et une œuvre d’art qu’on peut apprécier pour ses formes et ses couleurs. Sur le plan strictement formel, la sculpture est une expression collective relevant d’un style, mais aussi une œuvre personnelle unique.

En Afrique, le phénomène de la création artistique n’est pas lié d’une manière causale à son contexte: il n’est ni l’expression directe et privilégiée d’un type de société, ni le simple instrument des cultes ou initiations, ni la représentation didactique des croyances et des mythes. C’est un fait spécifique qui constitue un des aspects importants de la culture noire, d’autant plus précieux qu’il est illustré par des objets qui, grâce à l’interprétation du message sculptural qu’ils portent, peuvent être un des moyens de pénétrer les conceptions originales des civilisations africaines.

L’étude des arts africains vise à l’établissement d’une géographie, d’une histoire et d’une ethnologie stylistique. Préoccupation neuve dans la recherche africaniste moderne, l’histoire des arts traditionnels est encore mal connue tant à cause de la multiplicité des expressions plastiques (mais aussi chorégraphiques, musicales et littéraires, la globalité du fait esthétique devant toujours être préservée en vue de la définition d’une réalité multiforme) que de ses significations symboliques souvent ésotériques.

1. Diversité des arts africains

En Afrique noire, l’activité esthétique ne peut être ramenée à la seule création plastique. Les arts africains sont très divers: l’univers esthétique est un tout complexe, qu’on peut qualifier d’audio-visuel, où différentes expressions combinées – musique, danse, poésie, architecture, peinture et sculpture – se donnent libre cours en vue d’atteindre à une certaine maîtrise des forces surnaturelles. La sculpture n’est que la forme la plus accessible de cet ensemble.

Les arts du corps

L’homme a toujours eu le souci de décorer et de parer son corps soit par des modifications ou des mutilations, soit par des scarifications, tatouages, peintures ou parures. L’Afrique ne fait pas exception. Certaines sociétés n’ont jamais eu d’activités sculpturales, mais n’en éprouvent pas moins la nécessité de parer et de peindre soigneusement, par exemple, les nouveaux initiés, le maquillage qui nécessite souvent un remodelage préliminaire du visage (mutilations et scarifications provisoires, épilation), constituant et jouant le rôle d’un véritable masque (Kissi, Banda, Bakota). La coiffure est partout l’objet de soins attentifs. Les Fang du Gabon portaient autrefois une sorte de perruque faite de fibres végétales tressées, entièrement décorée de cauris. Chez les Ibo du Nigeria comme chez les Bakota du Gabon, les femmes portent des coiffures distinctives suivant leur statut social et initiatique.

L’art dans la vie quotidienne

Tous les objets usuels, si humbles soient-ils, supportent en général un élément décoratif destiné à les enjoliver, mais aussi à signifier quelque chose, leur appartenance à quelqu’un, leur fonction ou leur importance.

La poterie est l’apanage des femmes. En Afrique occidentale, la potière est l’épouse du forgeron. Le décor est pratiqué par incision, modelage ou peinture. L’Afrique ignore le tour, les seules techniques employées étant celles du moulage sur une forme, du montage au colombin ou du modelage direct. La cuisson se fait souvent sans four, à feu nu. Le filage est une activité féminine, le tissage le travail des hommes. On travaille essentiellement le coton, le raphia en forêt ou les fibres («velours du Kasaï»). Le décor peut résulter du tissage même ou être surajouté par broderie, teinture ou impression suivant divers procédés dont l’un des plus notables est le batik (Cameroun).

L’architecture

L’archéologie a décelé en Afrique un certain nombre de vestiges de cités anciennes construites en pierre: villes soudanaises de Koumbi-Saleh, Ouri, Aïn-Fara; Engaruka près du lac Tanganyika; enfin les nombreux sites de l’Afrique australe dont le plus imposant est l’ensemble de Zimbabwe. Mais les constructions traditionnelles plus récentes sont toutes faites de matériaux fragiles et peu durables tels que l’écorce, le bois, le pisé et la brique crue, souvent décorés de motifs peints ou traités en bas-reliefs, les issues pouvant être encadrées d’éléments sculptés surajoutés (Bénin, Cameroun).

La sculpture

Les expressions esthétiques les plus connues de l’Afrique noire sont des objets sculptés, masques et statues, qu’on peut étudier en eux-mêmes mais qui, il ne faut jamais l’oublier, participent d’une certaine unité d’expression, irréductible aux seules formes plastiques.

Les masques

«Mystérieux par nature puisque leur rôle immédiat [...] est de montrer en action des êtres ambigus, à la fois images et réalités, les masques sont en étroite relation avec l’initiation», écrit Michel Leiris. Les masques sont l’apanage des hommes, des initiés des classes d’âges et des associations secrètes. Dépositaires d’une force dont ils sont à la fois la représentation symbolique et le réceptacle, surtout au moment des danses rituelles, ils ne doivent être touchés ni par les femmes ni par les enfants. Les masques figurent la plupart du temps des êtres surnaturels, zoomorphes ou anthropomorphes, dont il convient de se protéger et de s’attirer les bonnes grâces. Ils relèvent directement des conceptions «animistes» où l’homme et le milieu dans lequel il évolue sont conduits par des forces invisibles qui les transcendent. L’essence même du masque, moyen de contrôle du monde magico-religieux de chaque société, explique la multiplicité de ses formes, chaque modèle correspondant à une circonstance particulière de la vie du groupe.

La statuaire

La statuaire africaine ne répond pas à un seul jeu de canons plastiques. Les statues, généralement de petite taille, ont pour but de servir d’intermédiaires entre les vivants qui les sculptent et la puissance qu’elles représentent d’une manière tangible. Ainsi, souvent, seuls quelques détails sont-ils importants pour cette identification et voit-on des figurines apparemment inachevées. La statue est vouée à des fins tout à la fois symboliques et opératoires répondant à des conceptions religieuses et magiques. Le mépris des proportions anatomiques des personnages, présentés seuls ou par couples, est le trait le plus commun de cette statuaire. L’expression du mouvement, rendue presque superflue par le thème le plus couramment traité, l’ancêtre du lignage, et la transposition plastique des volumes varient d’une tribu à l’autre: des figures raides et anguleuses des Dogon ou des Bambara, on passe aux sculptures hiératiques des Fang ou des Baluba, traitées tout en rondeur, pour aboutir aux formes souples et presque sinueuses des statues anciennes de Tada (Nigeria) ou de Sherbro (Sierra Leone).

Peinture pariétale

Il convient enfin de mentionner les peintures et gravures pariétales du Sahara où l’on a relevé des figurations de danseurs masqués et de scènes pastorales pouvant se rapporter à des civilisations préhistoriques proprement négro-africaines. Certains peuples de l’Afrique actuelle, mais à un niveau technique et expressif bien inférieur, pratiquent l’art rupestre: les Manding de l’Afrique occidentale et surtout les Bochimans de l’Afrique australe.

2. L’artiste noir

Matériaux et techniques

La majorité des sculptures africaines sont en bois, mais les Noirs ont aussi travaillé la pierre, l’ivoire, l’argile et les métaux (fer, bronze, or; cf. arts du MÉTAL).

Le bois est utilisé partout, du Soudan à l’Afrique orientale, pour façonner des statues, des masques et de nombreux objets décorés d’usage courant (sièges, portes, serrures, récipients). C’est surtout chez les agriculteurs sédentaires que s’est développée la sculpture du bois. Les essences choisies sont souvent, pour les masques, des bois tendres et légers, plus faciles à travailler et moins lourds à porter; pour les statues d’ancêtres et les objets mobiliers, des bois denses à grain fin. Les œuvres sont toujours d’une seule pièce, la forme cylindrique du bloc initial pouvant même être parfois décelée dans la sculpture terminée. Le travail se fait à l’abri des regards des femmes. Jusqu’à sa consécration officielle, l’objet rituel n’a aucune valeur et peut être manié sans précautions particulières. La statuette est ébauchée à l’aide d’un grand couteau (machette), la taille se faisant directement, souvent sans aucun modèle, par approximations et retouches successives. La sculpture proprement dite, qui donne à l’objet son modelé, se fait à l’herminette puis au couteau court; le polissage final est obtenu à l’aide de feuilles abrasives. La statue de bois blanc est patinée artificiellement par des teintures végétales ou minérales, des corps gras et des résines. Les masques sont peints avec des pigments végétaux (graines) et minéraux (argiles).

Les œuvres africaines en pierre (stéatite le plus souvent) sont presque toutes anthropomorphes. Elles proviennent de la haute Guinée, de la Sierra Leone, du Nigeria et de l’Angola. Ce sont des représentations tutélaires, témoins de civilisations disparues, utilisées à nouveau dans des cultes funéraires ou agraires.

L’ivoire a surtout servi à faire des bijoux (bracelets, pendentifs), des objets mobiliers (boîtes, gobelets), des trompes d’apparat et quelquefois de petites statuettes. C’est un matériau noble, recherché, difficile à sculpter mais qui acquiert une très belle patine rougeâtre. Les pièces les plus remarquables proviennent du royaume du Bénin et du Zaïre.

Les statuettes en terre cuite sont exceptionnelles, mais tous les récipients en poterie sont décorés selon des motifs la plupart du temps symboliques. Le travail de l’argile est très ancien en Afrique: les sites de Mopti (Mali), d’Ifé (Nigeria du Sud) et du pays Sao (Tchad) en font foi. Les statuettes qui y furent trouvées sont anthropomorphes; certaines dateraient des premiers siècles de notre ère. Les plus anciennes œuvres africaines seraient cependant les belles figurines trouvées à Jos (ville du Nigeria du Nord), datées du Ier millénaire avant J.-C., qui sont à rattacher à la civilisation de Nok. Les pièces Agni (Côte-d’Ivoire) et Mangbetou (Zaïre) sont plus récentes.

Les métaux furent également très employés surtout dans les chefferies centralisées et les royaumes féodaux: l’or , dans les pays baoulé et ashanti, pour la confection des parures (pendentifs, bracelets, colliers en or massif coulés par le procédé de la fonte à la cire perdue) et de certains objets mobiliers (sièges, éventails, chasse-mouches, etc., simplement décorés de fines plaques d’or fixées sur un support de bois); le bronze , dans le sud du Nigeria, avec les œuvres extraordinaires d’Ifé et du Bénin, travaillé également suivant le procédé de la fonte à la cire perdue; le fer enfin, forgé dans certaines régions à des fins esthétiques et religieuses, chez les Dogon et les Bambara (Mali), les Sénoufo (Côte-d’Ivoire) et les Fon (Bénin).

Sculpteurs et forgerons

L’artiste professionnel

L’artiste dont la sculpture est le métier principal est d’abord le sculpteur officiel d’un chef puissant ou d’un roi pratiquant le mécénat: c’est le cas à la cour de l’oba du Bénin (Nigeria) ou au royaume Kuba (Zaïre central). Le statut professionnel d’artiste du roi était une charge non héréditaire qui pouvait s’acquérir à force d’habileté technique et de talent. Les artistes (sculpteurs et fondeurs) étaient groupés en corporations. L’activité artistique professionnelle a existé également dans des sociétés moins centralisées que les royaumes, mais assez hiérarchisées et cloisonnées pour que l’individu doué puisse, par ses qualités, acquérir un statut privilégié lui permettant d’exercer son art à temps plein: c’est le cas du pays dan en Côte-d’Ivoire.

Le «spécialiste» occasionnel

Le sculpteur sur bois des sociétés segmentaires paysannes est un artisan qui atteint, suivant son degré de réussite, le niveau artistique. En Afrique occidentale (Mali, Guinée, Côte-d’Ivoire) et au Zaïre, le sculpteur est en même temps forgeron; ce personnage très important, détenteur de la science du feu, est placé traditionnellement à l’écart de la société. Dans les mythes dogons et bambaras, le forgeron est un héros civilisateur, dispensateur des techniques primordiales nécessaires à la vie. L’anonymat des artistes traditionnels est une légende due à l’ignorance dans laquelle nous étions des sociétés globales et de la réalité du milieu local dans lequel les œuvres ont été élaborées. Les récentes enquêtes de terrain ont montré que, dans chaque tribu, les vrais artistes ont laissé des traces dans la tradition.

3. Panorama stylistique

Les agriculteurs du Soudan

La savane soudanaise, au climat tropical sec, est le domaine des cultivateurs de mil, constructeurs d’empires. La sculpture des peuples de ces régions aux vastes horizons lumineux est anguleuse et austère, d’esprit abstrait et cubiste.

Les Dogon de la falaise de Bandiagara au Mali, connus grâce aux travaux de Marcel Griaule et de ses collaborateurs, ont conservé un héritage culturel complexe où la mythologie joue un rôle essentiel. La sculpture est toute d’inspiration religieuse et tend à neutraliser les forces de la vie et de la mort. Les sculpteurs-forgerons dogons, castés comme les autres artisans, façonnent des masques, thématiquement très divers mais de forme toujours schématique, qui sont utilisés au moment des fêtes de deuil et sont censés permettre la récupération de la force vitale du mort. Les statues anthropomorphes, liées généralement aux ancêtres, sont l’expression plastique des mythes.

Les Bambara, dont le royaume domina une partie du Mali pendant des siècles, ont une statuaire particulièrement remarquable par la pureté de ses lignes. On leur connaît des statuettes d’ancêtres et de jumeaux, des poupées de fertilité et de très nombreux types de masques correspondant aux six sociétés initiatiques dont les plus connues sont le n’domo et le koré. Les antilopes tyi-wara sont des sommets de coiffure jouant un rôle au cours des rites agraires.

Les Sénoufo du nord de la Côte-d’Ivoire se distinguent par une statuaire plus abondante que celle des peuples septentrionaux, plus portés à façonner des masques, surtout les Bobo. Les statues sénoufo, très prisées en Occident pour leur effet décoratif, font partie du culte familial.

Les civilisations forestières atlantiques

Le long de la côte de Guinée, de Sierra Leone, du Liberia et de la Côte-d’Ivoire, s’allonge une bande forestière où sont établies des populations à structure sociale segmentaire, dont l’alimentation se compose avant tout d’ignames, de bananes et de riz.

Les Baga de la haute Guinée sont morcelés en villages autonomes dont le seul lien est le simô , confrérie initiatique détentrice des masques et des statuettes. Le nimba est un gigantesque buste de femme au nez crochu représentant un génie de la fertilité; le bansonyi , une planche peinte au profil sinueux qui apparaît une seule fois par génération, au moment de la fête de sortie d’initiation.

Les Kissi conservent pour leur culte familial des statuettes de pierre trouvées à fleur de terre dans les plantations et dont on ignore absolument l’origine. Du Liberia à la Côte-d’Ivoire, le rôle d’évoquer les défunts du clan est plutôt confié à des masques. Ceux-ci sont liés à l’institution du poro , qui se retrouve aussi bien chez les Mendé et les Toma que chez les Dan et les Guéré. Les formes en sont diverses, les plus typiques étant les portraits idéalisés, purs de lignes, des Dan et les figures expressionnistes des Guéré-Wobé.

La zone guinéenne

Pays où la forêt s’éclaircit et le climat s’équilibre, la zone guinéenne a vu se développer des chefferies et des royaumes qui constituent sans aucun doute les formes les plus élaborées de la civilisation négro-africaine.

Les chefferies Baoulé et Ashanti

La sculpture, chez les Baoulé, est véritablement perçue comme un art et appréciée en tant que tel. La plupart des objets usuels sont décorés de figures gravées ou sculptées. Les statuettes, parmi les plus belles de l’Afrique noire, sont soit des portraits que l’on garde en tant qu’œuvres d’art, soit des figurines funéraires, les waka sona . Le masque de dié est un visage humain très serein, en bois noir poli. Les bijoux en cuivre, bronze et or attestent également ce goût des belles choses. Les petits poids à peser l’or s’apparentent directement aux poids ashanti.

Les Ashanti, dont le puissant royaume était établi sur le territoire de l’actuel Ghana, eurent très tôt des relations commerciales avec les voyageurs européens qui venaient leur acheter de l’or et des esclaves. Le tabouret royal, en bois plaqué de feuilles d’or, symbolisait l’unité du peuple ashanti. Des figurines de bois sculpté, akua ba , sont portées par les femmes enceintes. Les poids à peser l’or sont en bronze ou en cuivre; certains, figuratifs, sont célèbres pour leur vivacité d’expression, d’autres évoquent des proverbes.

Les cités-États du Bénin et du Nigeria

Les Fon du Bénin avaient leur capitale à Abomey. L’apogée de ce royaume guerrier se situe au XVIIIe siècle. Les artisans travaillaient sous le contrôle du roi. Les œuvres devaient exalter sa puissance et ses hauts faits. Les bas-reliefs du palais d’Abomey sont en terre crue peinte de couleurs vives. Les chefs avaient comme emblèmes de leur pouvoir des récades (bâtons de commandement) portant leur blason.

Les Yoruba du Nigeria, au nombre de cinq millions, constituaient au début du XVIIIe siècle un seul royaume, avec Ifé pour ville sainte. Le panthéon yoruba actuel compte plusieurs centaines de «dieux», chacun ayant ses prêtres et ses fidèles. Les masques sont polychromes comme les statuettes, ils appartiennent aux sociétés secrètes dont l’une des plus répandues est la société gélédé . Les jumeaux morts sont apaisés par de petites statuettes ibéji qu’on doit soigner comme de véritables enfants.

Les bronzes et terres cuites d’Ifé, qui doivent remonter au moins au XVIIIe siècle, sont des portraits idéalisés des grands dignitaires. La technique très élaborée des fondeurs d’Ifé, aboutissement d’une tradition déjà longue, passa par la suite au royaume du Bénin où elle se perpétua à travers des portraits royaux, des statuettes de personnages de la cour de l’oba et des plaques décoratives en bronze destinées à orner les piliers et parois des palais. La grande époque du royaume du Bénin se situe aux XVIe et XVIIe siècles, la décadence s’accélérant inexorablement au cours du XVIIIe.

L’art du Grassland

L’ouest du Cameroun, pays de plateaux recouverts de savane, est habité par un grand nombre de tribus organisées en petites chefferies (Bamiléké, Bangwa, Bafoum, Bali, Bamoum, Bikom...). Le caractère véritablement «tribal» de la sculpture du Grassland, où les courants d’influences externes (venant du Nigeria) et internes viennent compliquer toute tentative de classification, n’a pas pu être établi, ce qui explique l’appellation assez vague que l’on donne à cet art. L’art du Grassland est un art boursouflé, quelquefois caricatural, avec des préoccupations décoratives nettement affirmées chez les Bamiléké (décors de cases) et les Bamoum (objets recouverts de perles).

Les civilisations bantoues équatoriales

L’Afrique centrale et australe est le domaine des envahisseurs bantous. Sur l’équateur, au Gabon et au Congo-Brazzaville, s’étend la grande forêt chaude, sombre et humide où l’on trouve des tribus semi-nomades de structure segmentaire telles que les Fang, les Kota, les Tsogho...

Les Fang, divisés en clans quasiment autonomes, ont une statuaire homogène, caractérisée par un aspect monumental très classique dans l’art nègre et une grande sobriété de décor. La «face en cœur» des statues byéri des Fang peut être rapprochée de certaines expressions kwélé (Sangha) et surtout léga (lac Tanganyika). Si les formes sont semblables, les fonctions des objets diffèrent complètement: les sculptures fang sont des statues d’ancêtres, gardiennes des reliquaires familiaux, ou des masques exerçant des fonctions judiciaires; les charmantes pièces léga, souvent en ivoire, sont des symboles emblématiques des dignitaires de la société secrète bwami qui groupe les hommes et les femmes de la tribu.

Les Kota, occupant tout l’est du Gabon, façonnent des figures de reliquaire abstraites, pratiquement bidimensionnelles, toujours décorées de fils ou de plaquettes de cuivre.

Du Centre-Gabon à la côte atlantique, on trouve un grand nombre de types de masques, liés soit aux rituels funéraires, soit à l’initiation, qui tous dérivent morphologiquement les uns des autres, des plus schématiques (vuvi ) aux plus réalistes (punu dit mpongwé ), leur caractéristique essentielle étant la coloration blanche du visage. On les appelle les «masques blancs».

Les Téké du Congo, habitant la lisière de la grande forêt, ont des masques plats et circulaires abstraits et des statuettes-reliquaires utilisées dans des rituels magiques.

Zaïre

La région qui va de l’embouchure du Congo aux Grands Lacs, pays de forêt dans la boucle du Zaïre et le long des fleuves, mais de savanes plus au sud, a vu s’épanouir des royaumes puissants (Kongo, Kuba, Luba et Lunda) à côté d’un fonds paysan d’organisation segmentaire (région du Kasaï).

Les royaumes congolais

Le substrat paysan matrilinéaire congolais a été transformé, entre le XIVe et le XVIe siècle suivant les régions, par ce que Luc de Heusch a appelé le «cycle de la royauté sacrée», originaire des féodalités pastorales de l’Afrique orientale.

Les Kongo, qui se sont illustrés au XIXe siècle par un certain nombre de pièces d’inspiration catholique sous l’influence des missionnaires portugais, ont toujours eu une statuaire de tendance naturaliste, les plus anciennes productions kongo étant des statues en pierre à caractère funéraire. Les «fétiches à clous», dont on ne voit pourtant que la face, attestent cette continuité.

La théocratie kuba, sur le Kasaï, a vu un développement artistique remarquable, les sculpteurs sur bois étant la caste la plus importante des artisans. On connaît dix-sept statues royales en bois, de style particulièrement homogène; la plus ancienne, celle de Shamba Bolongolongo, date du début du XVIIe siècle. L’art décoratif kuba est également important, tous les objets usuels de bois étant sculptés.

Les Luba, au sud-est du Zaïre, constituent un complexe de chefferies aristocratiques où l’art, rattaché au culte des ancêtres et à la magie, s’est particulièrement développé. La forme humaine, réaliste ou même naturaliste comme dans le sous-style de Buli, est abondamment représentée. Certains groupes voisins, comme les Buye, ont une statuaire presque cubiste quoique massive, alors que les Luba proprement dits affectionnent les formes suaves et arrondies.

Les Luluwa et les Songye participent plus ou moins du vaste complexe luba, les premiers avec de fines statues entièrement ciselées de tatouages, les seconds avec un art essentiellement magique où les masques portent un décor purement géométrique.

Les Lunda-Tshokwé de la zone occidentale du Katanga et de l’Angola ont constitué un puissant royaume au XVIIe siècle. L’art tshokwé, illustré par des statuettes, des sièges sculptés, des objets mobiliers et des masques de thème et de style homogènes, est devenu décadent avec l’écroulement de l’empire lunda.

Les tribus segmentaires

À l’écart des grands royaumes ont subsisté des tribus segmentaires dont les plus notables sont les Mbala, les Yaka et les Pendé. L’art mbala rappelle le réalisme kongo de la côte et annonce la rigueur géométrique des formes yaka. Les masques yaka sont utilisés lors de l’initiation: le nez, démesuré, rejoint le front, et la coiffure conique haute se termine par une touffe de plumes. Formes, couleurs et matériaux divers contribuent à faire du masque une construction complexe dont les éléments illustrent souvent un mythe.

Les Pendé sont surtout des sculpteurs de masques, ceux-ci se caractérisant par une face triangulaire au menton pointu. Les tout petits masques en os ou en ivoire, faits à l’image des plus grands qui servent dans l’initiation, sont des amulettes protectrices.

L’Afrique orientale et australe

Les sociétés de l’Afrique de l’Est et du Sud sont essentiellement pastorales et guerrières. Elles possèdent un art encore mal connu qui s’apparente aux formes plus occidentales des Peul et des Zande.

Les Nilotiques de la région du haut Nil façonnent des statues quelquefois fort grandes pour honorer leurs défunts. Les Bari ont une statuaire assez fruste; les œuvres des Gato et des Konso sont un peu plus élaborées.

L’art décoratif de la région des Grands Lacs s’est développé dans des sociétés de type aristocratique et illustré par la vannerie, l’art du perlage et le travail du cuir.

La statuaire et les masques kondé (Tanzanie) représentent une tradition sculpturale vigoureuse qui privilégie la figuration de la femme.

Plus au sud, chez les Tonga, les Zoulou, les Souto et les Twana, on est en présence d’une véritable civilisation de la perle, du fer, du cuir et de la plume, la sculpture sur bois étant peu pratiquée.

L’art contemporain

L’art traditionnel africain, partout disparu ou en voie d’extinction en tant qu’art vivant, est actuellement remplacé, surtout dans les milieux urbains en pleine mutation, par une activité plastique relevant souvent du pop art. Il s’agit surtout de peinture, pratiquée le plus fréquemment par des artistes de formation intellectuelle européenne. On peut distinguer actuellement deux écoles originales, celle du Nigeria et celle du Soudan (Khartoum).

4. Évolution des approches de l’art nègre

Dès que les amateurs de curiosités exotiques, puis les artistes et les savants, se furent intéressés aux productions nègres, ils éprouvèrent le besoin de les intégrer dans une classification qui les situerait par rapport aux expressions esthétiques occidentales et en expliquerait à la fois le sens et la forme.

Les inventaires

Le répertoire pur et simple des collections anciennes a servi de cadre aux premières catégorisations des arts africains. Les pièces exotiques dont on ne connaît qu’approximativement la provenance sont encore au XVIIIe siècle des «objets de curiosité». Au XIXe siècle, c’est plutôt l’objet ethnographique que l’objet d’art proprement dit qui intéresse les savants. Les pièces, à leur arrivée en Occident, sont étudiées, répertoriées, classées comme des éléments matériels de la culture relevant des domaines de la religion, de la magie et plus généralement de l’initiation. La notion d’esthétique africaine (a fortiori celle de style régional ou tribal) n’est pas encore perçue en tant que telle: les objets rituels sont les expressions barbares d’un art sauvage, considéré comme une forme primaire de la culture humaine.

Les classifications régionales et tribales

À mesure que les pièces affluaient en Europe, l’intérêt pour toutes les productions africaines grandissait, mais il fallut attendre la «découverte» des cubistes pour qu’une véritable mode artistique se développât. Les collections constituées à cette époque ne rendirent pas les services qu’on aurait pu en attendre, car l’ethnologie du début du XXe siècle, tournée vers l’histoire des civilisations, les synthèses sociologiques et la muséographie analytique, empêcha toute recherche particulière sur les problèmes de la création plastique. Les classifications restent générales: Eckart von Sydow (1923) distingue deux grandes régions: l’Afrique occidentale et centrale, qui possède un art élaboré, et l’Afrique orientale et australe avec un style plus fruste nommé Pfahlplastik ou «style du poteau»; Georges Hardy (1927) tente de trouver une liaison entre l’art plastique et le milieu naturel où il s’est développé: l’art de la savane, épanoui dans un milieu aux grands espaces inondés de lumière, est symbolique et abstrait, tandis que l’art de la forêt, apparu dans un milieu hostile à l’horizon limité, est plus réaliste; A. Basler (1929), moins dogmatique, esquisse les grands traits des particularités propres de la sculpture noire, distincte des arts des autres continents, en délimitant de vastes régions stylistiques. Ces premières tentatives scientifiques, intéressantes à leur époque, furent surtout limitées par la faible représentativité de la documentation tant iconographique qu’ethnographique, peut-être aussi par l’ambition prématurée qu’elles avaient de vouloir immédiatement aboutir à une vision synthétique.

Cette tendance «régionaliste», au début un peu vague, a été reprise après 1945 par William Fagg qui, par l’étude approfondie des arts du Nigeria d’une part et de toute l’Afrique noire à travers les grandes collections occidentales d’autre part, est arrivé à définir le concept de «tribalité» des arts africains. Les expressions plastiques, liées aux croyances et aux rituels, doivent être vues comme éminemment caractéristiques d’un univers tribal dont elles sont les témoignages privilégiés.

Les classifications morphologiques

L’intérêt proprement morphologique et esthétique que les cubistes portèrent aux statues nègres catalysa l’attention générale et fit reconnaître les sculptures de l’Afrique et de l’Océanie comme l’expression d’un art véritable.

Carl Einstein (1915) s’attacha à particulariser les arts primitifs en deux catégories: l’art africain caractérisé par la primauté du volume, et l’art océanien marqué par une savante utilisation des intervalles et des vides. Ce point de vue morphologique suscita peu à peu de nouvelles recherches. Henri Lavachery le reprit à partir de 1930 pour aboutir à une classification fondée sur la considération des déformations pertinentes de la vision normale qui transparaissent dans la sculpture nègre. Les sculptures se répartissent en deux grands styles: un style «concave» où la taille se fait en creux, un style «convexe» où les détails semblent greffés sur la surface. Luc de Heusch reprendra cette classification (1963) en la nuançant afin d’en montrer le grand intérêt théorique pour une étude de la dynamique des styles. Frans Olbrechts (1946), partant de la constatation que les œuvres sont maintenant irrémédiablement coupées de leur milieu d’origine et que l’absence de données sûres rend difficile leur identification ethnographique et historique, conçut une méthode d’analyse systématique des formes des objets reposant sur le concept de style pris comme un ensemble pertinent de caractères formels. Il insista néanmoins sur la nécessité de replacer cette démarche morphologique dans le cadre d’une recherche ethnographique plus large. Il avait d’ailleurs animé lui-même une des premières enquêtes stylistiques de terrain en Côte-d’Ivoire (1939). Ce fut le point de départ de tout un courant scientifique, illustré essentiellement par les travaux de l’école belge portant sur les arts du Zaïre et repris récemment en France.

Problématique de la recherche actuelle

Trois types d’approches, qu’on peut tenir pour complémentaires , sont pratiqués: la méthode régionaliste établie sur le concept clef de «tribalité» (W. Fagg); la méthode morphologique qui tente de définir la réalité du phénomène esthétique dans une région stylistique donnée par une analyse systématique d’un grand nombre d’objets et une enquête de terrain centrée sur la création plastique (école d’Olbrechts); enfin une méthode qui, à un niveau plus général, consiste à faire un bilan ethno-esthétique des différentes recherches entreprises pour compléter une documentation qu’on constate encore insuffisante à fonder une véritable synthèse (Michel Leiris, Jacqueline Delange). Le dénominateur commun de toutes les recherches modernes en ce domaine est de chercher à définir la réalité ethnologique de l’activité plastique qui, maintenant reconnue comme une expression autonome de la société traditionnelle à situer dans une structure globale, peut en être un des moyens d’accès.


Encyclopédie Universelle. 2012.

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  • performing arts — arts or skills that require public performance, as acting, singing, or dancing. [1945 50] * * * ▪ 2009 Introduction Music Classical.       The last vestiges of the Cold War seemed to thaw for a moment on Feb. 26, 2008, when the unfamiliar strains …   Universalium

  • Rialto Center for the Arts — [http://www.gsu.edu/ Georgia State University s] [http://www.rialtocenter.org Rialto Center for the Arts] is an 833 seat performing arts venue located in the heart of the Fairlie Poplar district in downtown Atlanta, Georgia. An intimate, cultural …   Wikipedia

  • AFRIQUE NOIRE - Littératures — La littérature négro africaine populaire commence enfin à être connue grâce aux efforts conjugués des anthropologues, des linguistes et des historiens qui recueillent les traditions orales, singulièrement en milieu coutumier. Il s’agit là d’une… …   Encyclopédie Universelle

  • Afrocentrisme — L afrocentrisme est un paradigme cherchant à mettre en avant l identité particulière et les apports des cultures africaines à l histoire mondiale. Les afrocentristes soutiennent que la communauté scientifique occidentale sous estimerait les… …   Wikipédia en Français

  • Theophile Obenga — Théophile Obenga Théophile Obenga Théophile Mwené Ndzalé Obenga, né à Mbaya, (République du Congo), le 2 février 1936, est égyptologue, linguiste et historien. Avec Cheikh Anta Diop, il défend une vision de l histoire africaine recentrée sur les… …   Wikipédia en Français

  • Théophile Obenga — à la librairie Anibwé Activités Egyptologue, Linguiste, Historien et …   Wikipédia en Français

  • Colonisation — La colonisation est un processus d expansion territoriale et démographique qui se caractérise par des flux migratoires ; l occupation et l exploitation d un espace géographique, la mise en tutelle et la domination politique, culturelle,… …   Wikipédia en Français

  • Poésie — Manuscrit du poème Les Assis d’Arthur Rimbaud La poésie est un genre littéraire très ancien aux formes variées, écrites généralement en vers (il existe cependant des poèmes en prose), dans lequel l’importance prédominante est accordée à la forme …   Wikipédia en Français

  • POÉSIE — La poésie est d’autant plus difficile à définir qu’elle recouvre une pratique très diversifiée, plus qu’un genre particulier. Mais, tout autant que sa diversité, frappe son universalité, qui invite à chercher, par delà ses multiples variantes… …   Encyclopédie Universelle

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